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Le Nouveau Roman (suite) : Claude Simon

 

Les rails se divisant se divisant bruyamment s’écartant bifurquant se rapprochant de nouveau se dédoublant encore se multipliant s’étalant sur une grande surface

Une locomotive arrêtée sous un manche à eau le chauffeur sans doute distrait l’eau blanche débordant de tous côtés autour du caisson tombant en cascade

Un employé avançant parmi les voies un drapeau rouge roulé à la main levant haut les pieds pour enjamber les rails

Le train commença à ralentir

Trois longues voitures internationales arrêtées sur une voie de garage un homme vêtu d’une veste de lustrine luisante armé d’un long balai manche lavant les vitres un autre apparaissant à l’une des portières un seau et des balais dans une main entreprenant maladroitement de descendre embarrassé son autre main tâtonnant sur la rampe de cuivre le soleil étincelant une fraction de seconde sur le flanc du seau éblouissant puis s’éteignant l’aiguilleurs en manche de chemise accoudé à la fenêtre de la cabine vitrée regardant passer au-dessous de lui l’un après l’autre les wagons du train roulant de plus en plus lentement puis entre les voies un trottoir un quai le tintement d’une sonnette grelottant s’approchant de plus en plus fort très fort assourdissant puis décroissant s’éteignant cessant

Les gens étaient sur le quai bâtons noirs des visages glissèrent horizontalement les têtes coupées par les bas des fenêtres de plus en plus s’immobilisèrent

                      

                             Claude Simon, La Bataille de Pharsale, Les Editions de Minuit, 1969

 

Claude Simon : né à Madagascar en 1913, fils d’un officier tué lors de la Première Guerre mondiale, Claude Simon s’intéresse d’abord à la peinture. Sa vocation littéraire nait au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale : il publie ses premiers romans (Le Tricheur, 1946), marqués par l’influence de William Faulkner (écrivain américain). Son refus de l’intrigue traditionnelle et ses narrations discontinues qui bouleversent la chronologie (La Routes des Flandres, 1960) rattachent Claude Simon au courant du Nouveau Roman. Mais son intérêt pour les matériaux de l’Histoire crée un univers original, entre le réel et l’irréel (Les Géorgiques, 1981), qui n’exclut pas les éléments autobiographiques (L’Acacia, 1989). Il a été couronné par le prix Nobel en 1985.

 

La Bataille de Pharsale : l’un des romans les plus célèbres de Claude Simon, La Bataille de Pharsale est édité dans les Editions de Minuit en 1969. Il se présente comme un roman n’ayant ni début ni fin. Les thèmes sont extrêmement mélangés dans l’œuvre, sans transition, sans aucun lien, avec seulement parfois, des différences de ponctuation ou des paragraphes en italique qui marquent une rupture dans la lecture. Ce livre fait partie des Nouveaux Romans qui s’éloignent le plus des règles syntaxiques héritées du roman traditionnel.

Nous retrouvons dans La Bataille de Pharsale un narrateur qui imagine successivement ou en même temps la façon dont son amante le trompe et la bataille de Pharsale (un affrontement armé qui a réellement existé). Pour évoquer la bataille, le narrateur fait appel à des souvenirs personnels de guerre ou à des tableaux qu’il a admirés et sur lesquels il souhaite rédiger un essai. Se mêlent à ces thèmes l’évocation d’une recherche, avec un ami grec, du site exact de la bataille et d’autres souvenirs ainsi que des petites parcelles de sens.

La phrase dans cette œuvre est éclatée, en fragments et il est question dans ce roman de la phrase et de la bataille à mener pour la former. La Bataille de Pharsale est en fait la bataille de la phrase et de sa construction.

Dans l’extrait ci-dessus, nous remarquons une absence totale de ponctuation et de verbes conjugués. Les verbes sont d’ailleurs presque tous au participe présent.



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